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ROMANS ET NOUVELLES


à moi qui déteste les Jacobins et qui ne lis jamais. Je ne veux pas qu’il en reste un seul à la maison, et ce soir j’enverrai à notre respectable curé pour qu’il les vende au profit des pauvres, ceux de ces livres que vous n’aurez pas emportés.

À peine ce discours fini, les convives se levèrent de table et se ruèrent sur les livres ; les reliures étaient si belles, qu’il ne resta pas un volume ; mais Féder sut le lendemain que pas un des convives n’avait eu un ouvrage complet : dans leur ardeur de pillage, chacun avait envoyé à sa voiture les premiers volumes sur lesquels il avait mis la main.

Cette scène, toute de l’invention de Boissaux, lui fit beaucoup d’honneur dans l’esprit de Féder. « Réellement, se dit-il, l’envie désordonnée d’être pair de France donne quelque esprit à cet homme ; que ne peut-elle aussi lui donner des manières un peu supportables ! »

Féder fut aidé par le hasard, ce qui tendrait à prouver que dans les positions difficiles il faut agir. Delangle avait bien appelé à Paris son beau-frère Boissaux, il l’avait présenté à ses amis, il l’avait mis dans plusieurs affaires assez importantes, mais sous la condition tacite que toujours Boissaux resterait au second rang. L’éclat qui, tout à coup, environna les dîners de