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ROMANS ET NOUVELLES

pour se dispenser de faire son portrait ; il ne put moins faire que de les répéter, puisque la veille il les avait mises en avant, en parlant à Delangle. Valentine remarqua, avec la finesse naturelle à une femme d’esprit, quelque peu d’expérience que le hasard lui eût encore donné, que Féder, en comparant le portrait qui était son ouvrage avec le chef-d’œuvre qu’on était venu voir, devenait un tout autre homme. Cette lèvre inférieure trop avancée était assurément une faute contre la beauté, et Féder la sentait vivement ; mais elle annonçait une certaine possibilité d’aimer avec passion, à laquelle, je ne sais pourquoi, il se trouvait extrêmement sensible en ce moment. Il fut saisi d’un désir immodéré de faire le portrait de Valentine ; il fallait, pour y parvenir, tenir à Delangle un langage absolument opposé à celui de la veille. Delangle n’était pas homme à modérer la plaisanterie. S’il s’apercevait de cette variation dans l’opinion de Féder, il était homme à s’écrier : « Ma foi, ma sœur, rendons-en grâces à tes beaux yeux ; ils viennent de changer la résolution du grand peintre » ; et cette phrase, vingt fois répétée avec une voix de stentor et variée de toutes les façons, eût été pour Féder un supplice horrible. Il fallait donc se laisser convaincre par les