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Enfin, que vous dirai-je, monsieur ? Bonnard m’empêcha d’aller plus loin ; il me loua une petite boutique à côté du corps de garde, près de la porte, où je vendais à nos soldats ; et, quoiqu’en ne suivant plus l’armée, il y avait des jours où je gagnais encore mes huit ou dix francs. Bonnard me disait toujours : « Tu épouseras ma sœur. » Peu à peu, Catherineavait pris l’habitude de venir à ma petite boutique ; elle y passait des trois ou quatre heures. Enfin, monsieur, j’en devins amoureux fou. Elle était encore plus amoureuse de moi ; mais Dieu nous fit la grâce de ne pas cesser d’être sages. « Comment veux-tu que je t’épouse ? lui disais-je. Je suis marié. — N’as-tu pas laissé à ta femme de Zara toutes tes marchandises ; qu’elle vive, elle, à Zara, et toi reste avec nous. Associe-toi avec mon frère, ou garde ton commerce à part ; tu fais de bonnes affaires, tu en feras de meilleures. »

Il faut vous dire, monsieur, que je faisais la banque à Valence, et, en achetant de bonnes lettres de change sur Lyon, signées par des propriétaires que Bonnard connaissait, rien qu’en affaires de banque, je gagnais quelquefoiscent ou cent vingt francs par semaine.

Je restai ainsi à Valence jusqu’à l’automne. Je ne savais que devenir ; je