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RACINE ET SHAKSPEARE

il saurait bien répondre, si on le lui demandait, qu’il a fallu plusieurs heures pour tous ces événements. Cependant, si, durant la dispute d’Achille avec Agamemnon, il tire sa montre, elle lui dit : Huit heures et un quart. Quel est le spectateur qui s’en étonne ? Et cependant la pièce qu’il applaudit a déjà duré plusieurs heures.

C’est que même votre spectateur parisien est accoutumé à voir le temps marcher d’un pas différent sur la scène et dans la salle. Voilà un fait que vous ne pouvez me nier.

Il est clair que, même à Paris, même au théâtre français de la rue de Richelieu, l’imagination du spectateur se prête avec facilité aux suppositions du poëte. Le spectateur ne fait naturellement nulle attention aux intervalles de temps dont le poëte a besoin, pas plus qu’en sculpture il ne s’avise de reprocher à Dupaty ou à Bosio que leurs figures manquent de mouvement. C’est là une des infirmités de l’art. Le spectateur, quand il n’est pas un pédant, s’occupe uniquement des faits et des développements de passions que l’on met sous ses yeux. Il arrive précisément la même chose dans la tête du Parisien qui applaudit Iphigénie en Aulide, et dans celle de l’Écossais qui admire l’histoire de ses anciens rois, Macbeth et Duncan. La seule