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RACINE ET SHAKSPEARE

Allemands, tout étrangers qu’ils soient, se figurent réellement que des mois entiers se passent tandis qu’ils sont au théâtre.

le romantique. — Comme vous ne me persuaderez jamais que des spectateurs français croient qu’il se passe vingt-quatre heures, tandis qu’ils sont assis à une représentation d’Iphigénie en Aulide.

l’académicien, impatienté. — Quelle différence !

le romantique. — Ne nous fâchons pas, et daignez observer avec attention ce qui se passe dans votre tête. Essayez d’écarter pour un moment le voile jeté par l’habitude sur des actions qui ont lieu si vite, que vous en avez presque perdu le pouvoir de les suivre de l’œil et de les voir se passer. Entendons-nous sur ce mot illusion. Quand on dit que l’imagination du spectateur se figure qu’il se passe le temps nécessaire pour les événements que l’on représente sur la scène, on n’entend pas que l’illusion du spectateur aille au point de croire tout ce temps réellement écoulé. Le fait est que le spectateur, entraîné par l’action, n’est choqué de rien ; il ne songe nullement au temps écoulé. Votre spectateur parisien voit à sept heures précises Agamemnon réveiller Arcas ; il est témoin de l’arrivée d’Iphigénie ; il la voit conduire à l’autel, où l’attend le jésuitique Calchas ;