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RACINE ET SHAKSPEARE

donc que le spectateur peut se figurer qu’il se passe un temps plus considérable que celui pendant lequel il est assis au théâtre. Mais, dites-moi, pourra-t-il se figurer qu’il se passe un temps double du temps réel triple, quadruple, cent fois plus considérable ? Où nous arrêterons-nous ?

l’académicien. — Vous êtes singuliers, vous autres philosophes modernes : vous blâmez les poétiques, parce que, dites-vous, elles enchaînent le génie ; et actuellement vous voudriez que la règle de l’unité de temps, pour être plausible, fût appliquée par nous avec toute la rigueur et toute l’exactitude des mathématiques. Ne vous suffit-il donc pas qu’il soit évidemment contre toute vraisemblance que le spectateur puisse se figurer qu’il s’est passé un an, un mois, ou même une semaine, depuis qu’il a pris son billet, et qu’il est entré au théâtre ?

le romantique. — Et qui vous a dit que le spectateur ne peut pas se figurer cela ?

l’académicien. — C’est la raison qui me le dit.

le romantique. — Je vous demande pardon ; la raison ne saurait vous l’apprendre. Comment feriez-vous pour savoir que le spectateur peut se figurer qu’il s’est passé vingt-quatre heures, tandis qu’en