Page:Stendhal - Racine et Shakespeare.djvu/411

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
374
RACINE ET SHAKSPEARE

Admirez, si vous pouvez, l’idée d’obscure ajoutée à celle de nuit dans un tel moment. Eh bien ! nul doute que les gens à goût délicat de la cour de Versailles ne trouvassent cela fort beau ; on leur faisait éviter la locution bourgeoise : depuis trois jours, qui les eût empêchés net de s’attendrir. Et, quel qu’on soit, roi ou berger, sur le trône ou portant la houlette, on a toujours raison de sentir comme on sent et de trouver beau ce qui donne du plaisir. Ensuite, le goût français s’était formé sur Racine ; les rhéteurs se sont extasiés avec esprit pendant un siècle sur ce que Racine était d’un goût parfait. Ils fermaient les yeux à toutes les objections, par exemple, sur l’action d’Andromaque, qui a fait tuer un autre enfant pour sauver son Astyanax. Oreste nous le dit :

J’apprends que, pour ravir son enfance au supplice,
Andromaque trompa l’ingénieux Ulysse,
Tandis qu’un autre enfant, arraché de ses bras,
Sous le nom de son fils fut conduit au trépas.

(Andromaque, acte Ier, scène ire.)

Cet autre enfant avait pourtant une mère aussi, qui aura pleuré, à moins qu’on n’ait eu l’attention délicate de le prendre à l’hôpital ; mais qu’importent les larmes de cette mère ? elles étaient ridicules ; c’était une femme du tiers état ? n’était-ce pas trop d’honneur à elle de sacrifier son fils pour sauver son jeune maître[1] !

  1. Propos du marquis de Bonald, pour le duc de Bordeaux, en décembre 1822. — Voir M. Alexandre Manzoni, traduction de M. Fauriel.