Page:Stendhal - Racine et Shakespeare.djvu/406

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
369
DE QUELQUES OBJECTIONS

homme de goût pour l’an 1590. Aujourd’hui, à la vue de ses descriptions naïves et longuettes, le plus mince journaliste s’écrierait : Quel goût détestable ! Et il aurait raison, comme on eut raison en 1590, tant le goût est local et instantané, tant il est vrai que ce qu’on admire en deçà du Rhin, souvent on le méprise au delà, et que les chefs-d’œuvre d’un siècle sont la fable du siècle suivant.

« Il est facile de voir quels ont été les événements de la révolution littéraire qui a précipité du Bartas dans l’oubli et le mépris. Les grands seigneurs qui vivaient épars dans leurs châteaux, d’où souvent ils étaient redoutables aux rois[1], ayant été appelés à la cour par Richelieu, qui chercha à les désarmer et qui les y fixa en flattant et agaçant leur vanité, ce fut bientôt un honneur de vivre à la cour[2]. Aussitôt la langue prit un mouvement marqué d’épuration. Les progrès du goût consistèrent dans le perfectionnement des formes du style, qui devinrent de plus en plus classiques et calquées d’après l’étude et l’imitation des modèles de l’antiquité. Il y eut une épuration scrupuleuse et presque minutieuse qui tamisa la langue, si l’on peut ainsi parler, et lui fit rejeter, comme manquant de dignité et marque certaine d’un rang inférieur chez qui s’en servait, un grand nombre de mots, de

  1. Mémoires de Bassompierre.
  2. Vie d’Agrippa d’Aubigné.