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DE QUELQUES OBJECTIONS

réunis au Louvre[1] et qui ne pensent qu’à se souffler noblement une pension de six mille francs ou une croix de la Légion d’honneur ! Non, non, vous n’êtes pas libéral. Je m’en étais bien douté hier soir, en vous voyant vous tant ennuyer dans la société de ces quatre honnêtes marchands de blé de Hambourg. Savez-vous ce qu’il vous faut ? Des salons et des marquis pour vous applaudir. Allez, vous êtes un homme jugé, vous n’aimerez jamais la patrie, et vous serez un tiède toute votre vie. »

Cette colère, de la part d’un ami d’enfance, me plut beaucoup ; j’y vis bien à nu le ridicule de l’espèce humaine. Je lui fis quelques mauvaises réponses inconcluantes pour en bien jouir et le faire se développer au long. Si j’eusse voulu parler raison, j’aurais dit : « Je mépriserais autant que vous les quarante dont il s’agit (c’était en 1806) s’ils parlaient en leur nom ; mais ce sont des gens fins et dès longtemps habiles à écouter. Ils prêtent une oreille fort attentive à la voix du public ; ces quarante ne sont, à vrai dire, que les secrétaires du public en ce qui a rapport à la langue. Jamais ils ne s’occupent des idées, mais seulement de la manière de les exprimer. Leur affaire est de noter les changements successifs des mots et des tours de phrase au fur et à mesure qu’ils les observent dans les salons. Adorateurs de tout ce qui est

  1. L’Institut siégea au Louvre de 1795 à 1806. — Stendhal put parfaitement passer à Kœnigsberg en 1800. N. D. L. É.