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RACINE ET SHAKSPEARE


6.

On me dit : Le vers est le beau idéal dans l’expression ; une pensée étant donnée, le vers est la manière la plus belle de la rendre, la manière dont elle fera le plus d’effet.

Je nie cela pour la tragédie, du moins pour celle qui tire ses effets de la peinture exacte des mouvements de l’âme et des événements de la vie.

La pensée ou le sentiment doit, avant tout, être énoncée avec clarté dans le genre dramatique, en cela l’opposé du poëme épique.

Lorsque la mesure du vers n’admettra pas le mot précis qu’emploierait un homme passionné dans telle situation donnée, que ferez-vous ? Vous trahirez la passion pour l’alexandrin, comme le fait souvent Racine. La raison en est simple ; peu de gens connaissent assez bien les passions pour dire : Voilà le mot propre que vous négligez ; celui que vous employez n’est qu’un faible synonyme ; tandis que le plus sot de l’audience sait fort bien ce qui fait un vers dur ou harmonieux. Il sait encore mieux, car il y met toute sa vanité, quel mot est du langage noble et quel n’en est pas.

L’homme qui parle le langage noble est de la cour, tout autre est vilain. Or les deux tiers de la langue, ne pouvant être employés à la scène que par des vilains, ne sont pas du style noble[1].

  1. Laharpe, Cours de littérature.