Page:Stendhal - Racine et Shakespeare.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
351
DE QUELQUES OBJECTIONS

en mauvais italien, cette idée à Canova, je lui disais : « Voulez-vous vous ravaler, vous grand homme, à qui la forme d’un nuage, considérée à minuit, en rentrant chez vous, dans votre jeunesse, a fait répandre des larmes d’extrême plaisir, voulez-vous vous ravaler à la grossièreté d’âme de ce banquier à qui vingt-cinq ans d’arithmétique (M. Torlonia, duc de Bracciano) et des idées sordides ont valu dix millions ? Dans sa loge, au théâtre d’Argentina, il ne songe qu’au moyen d’attaquer l’impresario et de le payer dix sequins de moins. Il condamne hautement, comme manquant de dignité, les flonflons de Cimarosa sur le mot felicità, et leur préfère savamment la musique noble et grave des Mayer et des Paer. Mais elle ennuie ! — Qu’importe ? elle est digne.

« Avouez donc bonnement, disais-je à Canova, et comme il convient à un grand homme tel que vous l’êtes, que non omnia possumus omnes ; que, quelques bons yeux que nous ayons, nous ne pouvons pas voir à la fois les deux côtés d’une orange.

« Vous, auteur sublime des trois Grâces et de la Madeleine, vous n’aimez dans la nature que ses aspects nobles et touchants ; ce sont les seuls qui vous jettent dans cette douce rêverie qui fit le bonheur de votre jeunesse, dans la lagune à Venise, et la gloire de votre vie. Vous ne seriez plus vous-même si d’abord vous voyiez le côté comique des choses. Le comique ne vaut pour vous que comme délassement.