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DE QUELQUES OBJECTIONS

Le rire est un trait de nos mœurs monarchiques et corrompues que je serais fâché de perdre. Je sens que cela n’est pas trop raisonnable ; mais qu’y faire ? je suis né Français, j’aime mieux souffrir une injustice que de bâiller six mois, et quand je suis avec des gens grossiers je ne sais que dire. La république est contraire au rire, et c’est pourquoi je me console de vivre aujourd’hui plutôt que dans cent ans. Les républicains s’occupent sans cesse de leurs affaires avec un sérieux exagéré. Il se trouve toujours quelques Wilkes[1] pour les faire trembler sur le danger imminent de la patrie qui s’en va périr dans trois mois. Or, tout homme, je ne dis pas passionné, mais seulement occupé sérieusement de quelque chose ou de quelque intérêt, ne peut rire ; il a bien autre chose à faire que de se comparer oiseusement à son voisin.

Les Regnard ont besoin d’insouciance ; c’est pour cela qu’il n’y a guère de comédies en Italie, le pays de l’amour et de la haine. Rossini, quand il est bon me fait rêver à ma maîtresse. M. Argan, le malade imaginaire, me fait rire, dans les moments où j’ai l’âme grossière, aux dépens de la triste humanité. Ce ridicule-là est un ridicule de républicains.

À quoi arrivera ce jeune homme de vingt ans qui est venu m’emprunter ce matin

  1. L’un des champions de la liberté politique en Angleterre. Né à Londres en 1727, mort en 1797.