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RACINE ET SHAKSPEARE

faveur du grand roi. Louis XIV n’oublia jamais que, jeune encore, la Fronde l’avait forcé à sortir de Paris. C’est depuis César que les gens du pouvoir haïssent les originaux qui, tels que Cassius, fuient les plaisirs vulgaires et s’en font à leur guise. Le despote se dit : Ces gens-là pourraient bien avoir du courage ; d’ailleurs, ils attirent les regards et pourraient bien, en un besoin, être chefs de parti. Toute notabilité qu’il ne consacre pas est odieuse au pouvoir.

Sterne avait trop raison : nous ne sommes que des pièces de monnaie effacées ; mais ce n’est pas le temps qui nous a usés, c’est la terreur du ridicule. Voilà le vrai nom de ce que les moralistes appellent souvent l’excès de civilisation, la corruption, etc. Voilà la faute de Molière ; voilà ce qui tue le courage civil chez un peuple si brave l’épée à la main. L’on a horreur d’un péril qui peut être ridicule. L’homme le plus intrépide n’ose se livrer à la chaleur du sang qu’autant qu’il est sûr de marcher dans une route approuvée. Mais aussi quand la chaleur du sang, l’opposé de la vanité (passion dominante), produit ses effets, on voit les incroyables et sublimes folies des attaques de redoute, et ce qui est la terreur des soldats étrangers sous le nom de furia francese.

Éteindre le courage civil fut évidemment la grande affaire de Richelieu et de Louis XIV[1].

  1. Les confessions d’Agrippa d’Aubigné ressemblent à un roman de Walter Scott ; on y voit combien les périls obscurs étaient encore bienvenus en France vers l’an 1600,