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DE QUELQUES OBJECTIONS

au raisonnable qu’un homme d’esprit, Espagnol ou Anglais, qui arrive en France, peut être ridicule ; et j’approuve qu’on l’affuble de ce ridicule. C’est peut-être par supériorité d’esprit que ce nouveau venu s’écarte des usages reçus ; mais, jusqu’à plus ample informé, la société a raison de croire que c’est par ignorance ; et prenez garde, l’ignorance des petits usages prouve à l’instant infériorité de rang, chose abhorrée dans l’aristocratie ; ou bien encore c’est par sottise. Dans tous les cas, si le nouveau venu mérite une exception par son esprit, qu’il fasse preuve d’esprit en se défendant contre nos critiques, cela nous amusera.

En 1780, lorsqu’un mousquetaire allait, à six heures du matin, frapper à la porte d’un conseiller aux enquêtes et l’enlever dans un fiacre, l’on disait le soir, en racontant les détails de cette expédition : « Les démarches du mousquetaire ont été fort bien, » ou : « Il a été de la dernière inconvenance. » D’après cet arrêt de la société, le mousquetaire était fait capitaine de cavalerie deux mois après, ou attendait une autre promotion.

    « Ah ! madame, madame, quelles horreurs me racontez-vous là ! Qu’on ne dise jamais que les Anglais sont durs et féroces. — Véritablement, ce sont les Français qui le sont. Oui, oui, vous êtes des sauvages, des Iroquois, vous autres. On a bien massacré des gens chez nous ; mais a-t-on jamais vu battre des mains pendant qu’on mettait à mort un pauvre malheureux, un officier général qui avait langui deux ans en prison ?… Mon Dieu ! que je suis aise d’avoir quitté Paris avant cette horrible scène ! Je me serais fait déchirer ou mettre à la Bastille. » — Cf. Mémoires de madame de Genlis.