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RACINE ET SHAKSPEARE

du temps de Shakspeare l’on croyait aux sorcières. Les effets que ces détails peuvent produire aujourd’hui sont indépendants de la volonté de ces grands artistes.

Encore moins Molière est-il immoral, parce que le fils d’Harpagon manque de respect à son père, et lui dit :

Je n’ai que faire de vos dons.

Un tel père méritait un tel mot, et la crainte de ce mot est la seule chose qui puisse arrêter un vieillard dans son amour immodéré pour l’or.

L’immoralité de Molière vient de plus haut. Du temps de madame d’Épinay et de madame Campan, il y avait la manière approuvée et de bon goût de mourir, de se marier, de faire banqueroute, de tuer un rival, etc. Les lettres de madame du Deffand en font foi. Il n’y avait pas d’action de la vie, sérieuse ou futile, qui ne fût comme emprisonnée d’avance dans l’imitation d’un modèle, et quiconque s’écartait du modèle excitait le rire, comme se dégradant, comme donnant une marque de sottise. On appelait cela « être de mauvais goût » Le supplice du général Lally fut de bon goût[1].

C’est par l’absence du modèle et le recours

  1. Lettres d’Horace Walpole à madame du Deffand sur le général Lally. Dans sa lettre du 11 janvier 1769 (tome I, pages 31 et 32) à Horace Walpole, madame du Deffand s’exprimait sur la mort de Lally et sur les instants qui l’avaient précédée avec une légèreté vraiment atroce. Walpole laissa éclater une vive indignation dans sa réponse. On y lit ces phrases :