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RACINE ET SHAKSPEARE

grand art de la conversation d’aujourd’hui, c’est de ne pas se noyer dans l’odieux.

Accoutumés que nous sommes à raisonner souvent dans la conversation, nous trouverions pédantesque et singulière, si nous osions raisonner par nous-mêmes comme de grands garçons, la conversation des marquis au deuxième acte du Misanthrope. Cette scène offrait sans doute, il y a un siècle, un tableau fidèle, et idéalisé par le génie, des salons de l’an 1670. On voit qu’il y avait une assez belle place pour la satire et que la cour de Louis XIV était tout à fait petite ville. C’est que par tous pays le commérage vient du manque d’idées.

Dix portraits piquants, mais qui pourraient se trouver aussi bien dans une satire de Boileau[1], passent successivement sous nos yeux.

Nous avons fait un pas depuis 1670, quoique nous nous gardions d’en convenir. Nous avouerions presque, si l’on nous en pressait avec grâce, que tous ces gens-là font bien d’avoir des manies, si ces manies les amusent. La philosophie du dix-huitième siècle nous a appris que l’oiseau aurait tort de se moquer de la taupe, à raison de

  1. Le bavard qui prétend occuper il lui seul toute l’attention d’un salon ; le raisonneur qui n’y apporte que de l’ennui ; le mystérieux, l’homme familier qui trouve de la grâce à tutoyer tout le monde ; le mécontent qui pense que le roi lui fait une injustice toutes les fois qu’il accorde une grâce ; l’homme qui, semblable à un ministre, ne fonde ses succès que sur son cuisinier ; le bavard tranchant qui veut tout juger et qui croirait s’abaisser s’il motivait le moins du monde les arrêts qu’il dicte du haut de son orgueil.