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RACINE ET SHAKSPEARE

défendre leur vie ou leurs propriétés, auraient eu le loisir de donner audience à leurs pensées ou à leurs sentiments ; nous aussi, nous aurions eu nos Dante et nos Boccace, nous aurions eu des Capponi et de ces autres grands citoyens qui se succédaient sans interruption dans la République de Florence, et la langue dominante de l’Italie, au lieu d’être la toscane, serait la milanaise ou la vénitienne.

Si la milanaise l’avait emporté, les chefs-d’œuvre inspirés par le beau soleil de notre patrie commune auraient moins de magnificence dans l’expression, mais aussi plus de naïveté et surtout plus de rapidité.

Aujourd’hui encore, l’homme du peuple de Florence comparé à l’homme du peuple de Milan, parle avec moins de vitesse, dit moins de choses dans le même temps.

Au lieu de nous élever à une liberté orageuse comme les Florentins, nous tombâmes sous la tyrannie soupçonneuse et cruelle des Visconti et des Sforce. De plus en plus chaque Milanais fut obligé de songer sans cesse à conserver la vie et ses biens sans cesse mis en péril par les tyrans ou les sous-tyrans.

Je ne m’étends pas sur l’histoire de notre patrie. Qui est-ce qui n’a pas lu l’excellent volume du comte Verri, ce digne élève de Voltaire ? Comparez l’histoire de Milan par Pietro Verri à l’histoire de Florence par le philosophe Pignotti ; comparez siècle à siècle, cherchez à vous faire une idée exacte de ce qu’étaient Florence et Milan en