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RACINE ET SHAKSPEARE

notre belle patrie. Ils viennent se consoler des malheurs de la vie aux accents enchanteurs de Rossini, devant l’Hébé de Canova, ou en contemplant les fureurs d’Othello et les grâces enchanteresses de Desdémona. La cause qui arrête la marche de l’esprit d’un peuple si intéressant pour tout l’univers, du premier peuple du monde, ne peut être que curieuse à chercher[1].

Le premier instrument du génie d’un peuple, c’est sa langue. Que sert à un muet d’avoir beaucoup d’esprit ? Or l’homme qui ne parle qu’une langue entendue de lui seul est-il si différent d’un muet ?

Une langue bien faite soutient le génie de l’homme qui la parle. Par exemple, il est impossible d’être obscur en français, ou d’être frivole en parlant anglais. On ne peut plus déraisonner en chimie depuis que Lavoisier en a fait une langue. Un Italien, le comte Lagrange, a porté à une telle perfection la langue de l’analyse mathématique que, dès que le géomètre se trompe, chose admirable ! il en est averti par l’instrument dont il se sert. Telles seront les langues modernes, lorsque chacune aura adapté à son génie particulier la grammaire générale du collègue de Lagrange, l’immortel comte de Tracy.

Mais où prendre le génie particulier de la

  1. Sur le verso du feuillet 2 : Il y a de la sottise et de la présomption à un étranger de vouloir combattre les idées d’un homme sur sa propre langue. Ma la prego di badar bene che queste idee non sono mie, sono scelte in varii grandi filosofi che lei forse non conosce. 1er  mars 1818.