Page:Stendhal - Racine et Shakespeare.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
198
RACINE ET SHAKSPEARE

ou aux pays où l’on permettait aux premières classes de la société d’avoir des passions. Chez nos contemporains, ces premières classes sont souvent étiolées. Les classiques grecs et latins n’ont pas offert de ressource dans ce besoin des cœurs. La plupart appartiennent à une époque aussi artificielle et aussi éloignée de la représentation naïve des passions impétueuses que celle dont nous sortons. Il n’y avait guère plus de naturel dans les goûts à la cour d’Auguste qu’à celle de Louis XIV. D’ailleurs, ce n’est pas une littérature arrangée pour une cour qu’il nous faut, mais bien une littérature faite pour un peuple ; et il ne faut pas qu’elle soit arrangée pour un peuple qui offre des sacrifices à Jupiter, mais pour un peuple qui a peur de l’enfer ; cette dernière idée a fait la fortune du Dante.

Les poëtes qui ont réussi depuis vingt ans en Angleterre, non-seulement ont plus cherché les émotions profondes que ceux du dix-huitième siècle ; mais, pour y atteindre, ils ont traité des sujets qui auraient été dédaigneusement rejetés par l’âge du bel esprit.

Il est difficile que les antiromantiques nous fassent longtemps illusion sur ce que cherche le dix-neuvième siècle. Une soif croissante d’émotions fortes est son vrai caractère : or, on ne peut m’émouvoir fortement qu’avec des choses qui s’adressent à moi, Italien du dix-neuvième siècle, et non à un Romain du siècle d’Auguste, ou à un Français de Louis XIV. Où sont, parmi