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RACINE ET SHAKSPEARE

les poétiques imprimées par des pédants, avant le règne de la philosophie. Il est temps de rabattre leur orgueil et de crier à tous ces critiques surannés que ce qu’ils avancent avec confiance, comme un principe incontestable, est une assertion, qui tandis que leur langue est occupée à la prononcer, est démentie par leur conscience intime et par leur propre cœur.

Il est faux qu’aucune représentation soit jamais prise pour la réalité ; il est faux qu’aucune fable dramatique ait jamais été matériellement croyable, ou ait jamais été crue réelle pendant une seule minute.

L’objection que les pédants tirent de l’impossibilité de passer la première heure à Alexandrie d’Égypte et la seconde à Rome suppose que quand le Sipario se lève le spectateur se croit réellement à Alexandrie et imagine que la course de son carrosse, qui l’a conduit de chez lui au théâtre, a été un voyage en Égypte, et qu’il vit du temps d’Antoine et de Cléopâtre. Certes, l’imagination qui aurait fait ce premier effort pourrait en faire un second ; l’homme qui, à huit heures du soir, peut prendre le théâtre pour le palais des Ptolomées peut aussi le prendre une heure après pour le promontoire d’Actium ; l’illusion, si vous voulez admettre l’illusion, n’a pas de limites certaines. Si le spectateur peut être persuadé une fois que tel acteur, son ancienne connaissance, est Don Carlos ou Abel, qu’une salle éclairée avec des quinquets est le palais de Philippe II ou la caverne d’Abel, il est