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RACINE ET SHAKSPEARE

déserter l’habitude, l’homme vaniteux s’expose à l’affreux danger de rester court devant quelque objection. Peut-on s’étonner que de tous les peuples du monde le Français soit celui qui tienne le plus à ses habitudes ? C’est l’horreur des périls

    Le personnage tombe à n’être plus qu’un rhéteur dont je me méfie pour peu que j’aie d’expérience de la vie, si par la poésie d’expression il cherche à ajouter à la force de ce qu’ll dit.

    La première condition du drame, c’est que l’action se passe dans une salle dont un des murs a été enlevé par la baguette magique de Melpomêne, et remplacé par le parterre. Les personnages ne savent pas qu’il y a un public. Quel est le confident qui, dans un moment de péril, s’aviserait de ne pas répondre nettement à son roi qui lui dit quelle heure est-il ? Dès l’instant qu’il y a concession apparente au public, il n’y a plus de personnages dramatiques. Je ne vois que des rapsodes récitant un poëme épique plus ou moins beau. En français l’empire du rhythme ou du vers ne commence que là où l’inversion est permise.

    Cette note deviendrait un volume si j’essayais d’aller au-devant de toutes les absurdités que les pauvres versificateurs, craignant pour leur considération dans le monde, prêtent chaque matin aux romantiques. Les classiques sont en possession des théâtres et de toutes les places littéraires salariées par le gouvernement. Les jeunes gens ne sont admis à celles de ces places qui deviennent vacantes que sur la présentation des gens âgés qui travaillent dans la même partie. Le fanatisme est un titre. Tous les esprits serviles, toutes les petite ambitions de professorat, d’académie, de bibliothèques, etc., ont intérêt à nous donner chaque matin des articles classiques ; et, par malheur, la déclamation dans tous les genres est l’éloquence de l’indifférence qui joue la foi brûlante.

    Il est, du reste, assez plaisant qu’au moment où la réforme littéraire est représentée comme vaincue par tous les journaux, ils se croient cependant obligés à lui lancer, chaque matin, quelque nouvelle niaiserie qui, comme le lord Falstaff, grand juge d’Angleterre, nous amuse pendant le reste de la journée. Cette conduite n’a-t-elle pas l’air du commencement d’une déroute ?


    * Voir la diatribe de M. Martin contre les expériences de notre célèbre Magendie. Chambre des Communes, séance du 24 février 1825.