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SECONDE PARTIE

lui semble mauvais, rien de plus juste ; mais elle empêche les spectateurs qui s’amusent de ce qui lui semble mauvais de jouir de leur plaisir.

C’est ainsi que les jeunes libéraux, excités par le Constitutionnel et le Miroir, ont chassé les acteurs anglais du théâtre de la Porte-Saint-Martin, et privé d’un plaisir fort vif les Français qui, à tort ou à raison, aiment ce genre de spectacle. On sait que les sifflets et les huées commencèrent avant la pièce anglaise, dont il fut impossible d’entendre un mot. Dès que les acteurs parurent, ils furent assaillis avec des pommes et des œufs ; de temps en temps on leur criait : Parlez français ! En un mot, ce fut un beau triomphe pour l’honneur national !

Les gens sages se disaient : « Pourquoi venir à un théâtre dont l’on ne sait pas le langage ? » On leur répondait qu’on avait persuadé les plus étranges sottises à la plupart de ces jeunes gens ; quelques calicots allèrent jusqu’à crier : À bas Shakspeare, c’est un aide de camp du duc de Wellington !

Quelle misère ! quelle honte pour les meneurs comme pour les menés ! Entre la jeunesse si libérale de nos écoles et la censure, objet de ses mépris, je ne vois aucune différence. Ces deux corps sont