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RACINE ET SHAKSPEARE

c’est un coup de pistolet au milieu d’un concert. »

La moindre allusion politique fait disparaître l’aptitude à tous ces plaisirs délicats qui sont l’objet des efforts du poëte. Cette vérité est prouvée par l’histoire de la littérature anglaise ; et remarquez que l’état où nous sommes dure en Angleterre depuis la restauration de 1660. On a vu, chez nos voisins, les hommes du plus grand talent frapper de mort des ouvrages fort agréables, en y introduisant des allusions aux intérêts passagers et âpres de la politique du moment. Pour comprendre Swift, il faut un commentaire pénible, et personne ne se donne la peine de lire ce commentaire. L’effet somnifère de la politique mêlée à la littérature est un axiome en Angleterre. Aussi voyez-vous que Walter-Scott, tout ultra qu’il est, et tenant à Édimbourg la place de M. de Marchangy à Paris, n’a garde de mettre de la politique dans ses romans ; il redouterait pour eux le sort de la Gaule poétique.

Dès que vous introduisez la politique dans un ouvrage littéraire, l’odieux paraît et avec l’odieux la haine impuissante. Or, dès que votre cœur est en proie à la haine impuissante, cette fatale maladie du dix-neuvième siècle, vous n’avez plus assez de gaieté pour rire de quoi que ce soit.