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RACINE ET SHAKSPEARE

réponds : Telle est la puissance de l’art dramatique sur le cœur humain, que, quelle que soit l’absurdité des règles auxquelles les pauvres poëtes sont obligés de se soumettre, cet art plaît encore. Si Aristote ou l’abbé d’Aubignac avaient imposé à la tragédie française la règle de ne faire parler ses personnages que par monosyllabes, si tout mot qui a plus d’une syllabe était banni du théâtre français et du style poétique, avec la même sévérité que le mot pislolet par exemple ; eh bien ! malgré cette règle absurde, les tragédies faites par des hommes de génie plairaient encore. Pourquoi ? C’est qu’en dépit de la règle du monosyllabe, pas plus étonnante que tant d’autres, l’homme de génie aurait trouvé le secret d’accumuler dans sa pièce une richesse de pensées, une abondance de sentiments qui nous saisissent d’abord : la sottise de la règle lui aura fait sacrifier plusieurs répliques touchantes, plusieurs sentiments d’un effet sûr ; mais peu importe au succès de sa tragédie tant que la règle subsiste. C’est au moment où elle tombe enfin sous les coups tardifs que lui porte le bon sens, que l’ancien poëte court un vrai danger. Avec beaucoup moins de talent, ses successeurs pourront, dans le même sujet, faire mieux que lui ? Pourquoi ? C’est qu’ils oseront se servir de ce