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LE RIRE

cher un amant ; il faut au poète comique une grande délicatesse d’âme.

Le ridicule qui fait le plus de plaisir est celui par lequel un homme repousse celui qu’on voulait lui donner. On rit du malheur du plaisanté et il ne peut pas y avoir de compassion pour arrêter le rire, car le moqué a commencé l’attaque. Extrême rapidité et vivacité de l’impression. On rit de l’attaquant qui se voit trompé dans un projet et donner un ridicule[1].

Les Italiens doivent rencontrer bien rarement cette espèce de rire et de plaisir, au contraire des Français. C’est une revanche de l’amour, que nous n’avons guère, et des beaux-arts que nous n’avons jamais : c’est un effet de la furia francese.

L’imprévu, il me semble, manque aux histoires comiques italiennes. C’est que l’esprit de ce peuple ne peut pas se remuer rapidement, il est lent ; l’habitude des passions profondes est, ce me semble, la cause de cette lenteur dans ses mouvements. Je faisais ces réflexions ce matin, en parcourant un vieux bouquin italien, avec estampes en bois, intitulé Filosofia morale del Doni. Venezia, 1506, petit vol. in-4o,

  1. Un homme est trompé, voilà une source de ridicule. Un homme se voit trompé, voilà une seconde source de ridicule qui s’ouvre. Nous rions de la laide mine avec laquelle il reçoit le ridicule.