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LE RIRE

Les Johnson, ou les caractères à la Johnson, y sont fort communs.

Mais, pour revenir, tout homme passionné, quel que soit l’objet de sa passion, triste ou gai, l’amour ou l’avarice, la méditation sur un baiser donné sur la main de sa maîtresse, ou sur quatre beaux billets de mille francs, reçus hier matin, tout homme passionné n’écoute pas la narration d’une anecdote et ainsi conséquemment ne peut pas en rire.

Deux causes de sa mine sérieuse :

1o Il ne trouve pas qu’il y ait de quoi rire. Redoutant quelque malheur, que lui fait de se voir momentanément supérieur, pour un petit avantage, à tel homme ? Il est occupé de choses bien autrement sérieuses. Le vicomte de Barral dit : « Il peut y avoir guerre avec l’Angleterre dans trois mois ; tous les vaisseaux seront pris, cela fera enchérir le sucre ; et, de malheurs en malheurs, cela peut compromettre mes rentes en Dauphiné. » Un homme profondément occupé à craindre ne peut pas rire de ce qu’il entend ; ces pauvres diables-là rient encore quelquefois de ce qu’ils voient.

2o Le craintif est tellement préoccupé, qu’il n’entend pas même la narration qui doit le faire rire ; c’est comme si on la faisait en haut allemand. L’insouciance