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Ainsi un homme d’un esprit aimable, accoutumé à faire des phrases coulantes, et à les couronner par un mot piquant, dispose de la réputation du médecin, du peintre, etc. N’est-ce pas le journal qui a fait la réputation de Girodet ?

Le journal, excellent, nécessaire pour les intérêts politiques, empoisonne par le charlatanisme la littérature et les beaux arts. Dès qu’un grand homme créé par le journal meurt, sa gloire meurt avec lui ; voyez Girodet : mais Prudhon, contemporain de Girodet, n’était pas apprécié, et ne possédait pas un sou pour passer le pont des Arts (je l’ai vu).

Dans les villes non sujettes au journal, à Milan, par exemple, tout le monde va voir le tableau avant de lire l’article, et le journaliste doit bien se tenir pour n’être pas ridicule en parlant d’un tableau sur lequel tout le monde a une opinion.

De la nécessité politique du journal dans les grandes villes naît la triste nécessité du charlatanisme, seule et unique religion du dix-neuvième siècle.

Quel est l’homme de mérite qui n’avoue en rougissant qu’il a eu besoin de charlatanisme pour percer ? De là ce vernis de comédie nécessaire, qui donne je ne sais quoi de faux et même de méchant aux habitudes sociales des Parisiens. Le naturel y perd un