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on me fait observer des marques d’inondation du fleuve, étonnantes par leur élévation.

Je vois un pont suspendu qui traverse la Loire, et qui, je ne sais pourquoi, passe pour laid dans le pays. Les Français sont drôles dans leurs idées. Peut-être que l’ingénieur qui a construit ce pont avait une cravate trop haute, ce qui lui donnait l’air suffisant ; peut-être a-t-il blessé la vanité des bourgeois de la petite ville par quelque autre tort aussi grave. Le tablier en bois d’une arche du pont est tombé un beau jour, parce qu’un pied-droit, supportant le tablier, s’est rompu, et trois personnes se sont noyées. Il fallait du fer de la Roche en Champagne ; peut-être aura-ton pris par mégarde du fer aigre du Berry. Au reste, on ne peut prévoir les maladies du fer : tout à coup la barre de fer la mieux forgée casse net. Est-ce un effet de l’électricité ?

Ce pont, qui n’est pas à la mode, conduit à une île de la Loire. Ce fleuve est ridicule à force d’îles : une île doit être une exception chez un fleuve bien appris ; mais, pour la Loire, l’île est la règle, de façon que le fleuve, toujours divisé en deux ou trois branches, manque d’eau partout. Ce malheureux pont conduit donc à un chemin qui traverse une île dépouillée