Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/65

Cette page n’a pas encore été corrigée

est un endroit, un seul, où le paysage mérite qu’on le regarde. C’est au moment où l’on aperçoit tout à coup la Seine qui coule à deux cents pieds au-dessous de la route. La vallée est à gauche, et formée par un coteau boisé au sommet duquel se trouve le voyageur. Mais, hélas ! il n’y a point de ces vieux ormeaux de deux siècles si respectables, comme en Angleterre. Ce malheur, qui ôte de la profondeur à la sensation donnée par les paysages est général en France. Dès que le paysan voit un grand arbre, il songe à le vendre six louis.

La route de Paris à Essones était occupée ce matin par quelques centaines de soldats en pantalons rouges, marchant par deux, par trois, par quatre, ou se reposant étendus sous les arbres. Cela m’indigne : cette marche, comme des moutons isolés, est pitoyable. Quelle habitude à laisser prendre à des Français déjà si peu amis de l’ordre ! Vingt Cosaques auraient mis en déroute tout ce bataillon qui se rend à Fontainebleau pour garder la cour pendant le mariage de M. le duc d’Orléans.

Un peu avant Essones, je contre-passe la tête du bataillon, qui fait halte pour rallier une partie de son monde, et entrer en ville d’une façon un peu décente. Au