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J’avais débuté dans la carrière matrimoniale par un acte de férocité ; je savais trop ce que c’était que de dîner tous les jours avec un père ou beau-père ; j’avais voulu avoir mon ménage.

Bientôt, comme nos affaires allaient bien, il fallut donner des dîners. Or, à cause des vins fins, c’est un plaisir fort cher, et de plus ce plaisir est une affreuse corvée pour moi.

L’hiver vint ensuite ; par une conséquence agréable de nos dîners et que je n’avais pas prévue, ma femme fut invitée à un assez grand nombre de bals ; je fus obligé de jouer à l’écarté, et dès qu’il y avait plus de sept à huit pièces de cinq francs sur la table, il en manquait toujours une, lorsqu’il s’agissait de payer. J’avoue que ceci me choqua profondément ; je rougissais jusqu’au blanc des yeux, comme si j’eusse été le coupable. Puis je rougissais de me sentir rougir ; ces parties avec des fripons étaient pour moi un supplice pire que les dîners.

Le commerce des fers continua à rencontrer des circonstances heureuses. Moi je m’y appliquais sérieusement, pour ne pas avoir cette honte de changer une seconde fois d’état au milieu de ma carrière. Il m’arriva plusieurs fois de serrer dans le bureau qui était dans ma chambre un