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UNE ADJUDICATION

L’hôte, complètement ivre ce soir-là[1], lui dit :

— Eh bien, monsieur Wambrée, vous avez été joliment volé à l’adjudication de ce matin ?

— Il n’y a eu qu’un faible rabais, il est vrai, mais je ne vois pas de vol.

— Vous autres messieurs vous ne savez jamais rien, reprend l’hôte. Apprenez donc que tout le mic-mac s’est passé ici à mon auberge. Aujourd’hui, après l’adjudication, les quatre personnes que vous y avez vues sont venues dîner là, à la table où vous êtes. Mais, ce qu’il y a de plus drôle, c’est que dix personnes qui voulaient prendre part à l’adjudication se trouvaient ici dimanche dernier. Après avoir longtemps disputé la chose entre eux, M. Brun, que vous connaissez le plus fin matois de la troupe, s’écria : Nous sommes de fières bêtes de prêter ainsi à rire aux ingénieurs et au préfet ; faisons entre nous une adjudication préparatoire, et donnons-nous parole d’honneur de céder l’affaire à qui fera le rabais le plus fort. Outre la parole d’honneur, Brun signa et leur fit signer un dédit de je ne sais pas quelle somme, et enfin, sur cette table où vous dînez, ils firent leur adjudication bien en règle.

  1. Incidente ajoutée sur l’erratum de l’exemplaire Primoli et sur l’édition de 1854. N. D. L. É.