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TOURS

une heure et demie après avoir demandé de l’eau chaude, j’ai pu faire du thé.

Guéri de mon froid et de mon malaise, mais non de ma colère, je suis allé brûler des cigares sur les trottoirs de la belle rue, comme un vrai soldat. Je me suis fait une verte morale sur cette facilité à me mettre en colère, je me suis dit : Ira furor brevis. Si cette disposition augmente avec l’âge, je serai bientôt un vieux célibataire insociable, etc., etc. Rien n’y a fait, j’étais en colère de m’être mis en colère.

J’ai passé par hasard devant un marchand de fer : Et mon paquet de livres ! me suis-je dit. Cette idée a tout changé : à deux cents pas de là, chez l’obligeant M. D…, j’ai trouvé un paquet de douze volumes arrivé de la veille seulement.

Dix minutes après, j’étais le plus gai des hommes, établi chez moi devant un bon feu, et coupant le bel exemplaire de Grégoire de Tours que vient de publier la Société de l’histoire de France. Les abominables chandelles de la province me rappelaient encore le lieu où j’étais. Je suis descendu à la cuisine, j’ai pris à part le dernier des marmitons, je lui ai fait cadeau de dix sous, après quoi je l’ai prié bien humblement de m’aller acheter une livre de bougies. Il s’est acquitté le mieux du monde de sa petite commission, et enfin,