Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/463

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
424
MÉMOIRES D’UN TOURISTE

J’étais mort de fatigue ; je suis monté au cabinet littéraire qui occupe un premier étage dans la belle rue. De toute l’année je n’ai ressenti un froid si cruel ; il faisait un vent du nord exécrable, et les lecteurs tourangeaux jugeaient à propos de tenir les fenêtres ouvertes. J’ai résisté courageusement au besoin de demander qu’on les fermât, je craignais quelque sotte réponse.

Je suis revenu à mon auberge grelottant et mourant de peur de m’être enrhumé : c’est le seul malheur que je redoute ; il donne de l’humeur le soir pendant trois semaines. Et que reste-t-il au pauvre voyageur solitaire, s’il perd sa bonne humeur ?

J’ai demandé de l’eau bouillante, j’ai pris moi-même une théière à la cuisine, et suis monté chez moi préparer mon thé.

Pourra-t-on croire que ces monstres de provinciaux m’ont apporté trois fois de suite de l’eau qui n’était pas même tiède ? et, à la fin, la servante s’est fâchée contre moi. J’étais gelé et j’enrageais ; j’entrevoyais que j’avais eu tort de me séparer du fidèle Joseph. Par bonheur, j’ai compris que j’étais une dupe d’avoir des façons polies au milieu des barbares qui m’environnent. J’ai sonné à casser toutes les sonnettes, j’ai fait tapage comme un Anglais, j’ai demandé du feu, j’en ai eu, c’est-à-dire que ma chambre s’est remplie de fumée, et,