Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/408

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
369
HISTOIRE DU GOTHIQUE

triomphe de Trajan ; et ces colonnes, ils les placèrent la tête en bas. Chose singulière ! c’était précisément pendant que dans Rome l’on en était à ce point de barbarie, que les Gaules arrivaient à leur plus haut point de splendeur littéraire. La langue latine était parlée généralement : Toulouse, Autun, Trèves et Bordeaux étaient des capitales brillantes. Mais les invasions des barbares vinrent tout effacer, et vers l’an 1000, après que les Normands et tant d’autres eurent pillé la France, on ne pourrait se faire d’idée aujourd’hui de la misère de Chartres, de Paris, de Reims, des lieux, en un mot, que le treizième siècle enrichit de ses plus magnifiques édifices.

Au milieu de l’effroyable désordre et du malheur général, les hommes en vinrent à ne plus songer qu’au moment présent, toute idée d’avenir autre que celui du paradis s’éteignit dans les cœurs. On ne construisit plus que de misérables maisons en bois pour se mettre à l’abri de la pluie et du froid, et au dixième siècle il n’y eut plus d’architecture. Mais après l’an mille, l’idée habilement répandue de la proximité de la fin du monde avait rassemblé des richesses énormes dans les mains du clergé. Or, quel plaisir pouvait se donner un évêque de l’an mille, qui pouvait tout sur les