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AVIGNON

Je prends une barque et vais courir le Rhône. Sur la Loire on craint de manquer d’eau et de s’engraver, sur le Rhône on a à se méfier d’un courant terrible et puissant. J’aborde à une promenade formée de quelques rangées d’ormes que le pays admire, et qui aura quelque physionomie dans cent ans, quand les arbres seront vieux.

Rabelais appelle Avignon la Ville sonnante ; on y voit, en effet, une foule de clochers : moi, je l’appellerais plutôt la ville des jolies femmes ; on rencontre, à tout bout de champ, des yeux dont on n’a pas d’idée dans les environs de Paris. Les rues sont couvertes de toiles à cause de la chaleur ; j’aime cet usage et le demi-jour qu’il procure. La badauderie naturelle au voyageur m’a fait perdre une heure à l’occasion d’un certain crucifix d’ivoire fort vanté et fort médiocre, et pour lequel il faut demander une permission. Une religieuse le montre en cérémonie.

J’ai vu les hôtels de Crillon et de Cambis. On craint toujours de laisser échapper quelque chose de curieux ; mais il faudrait ne pas s’impatienter quand on trouve toutes les laideurs et toutes les odeurs malsaines d’une petite ville.

La comtesse Jeanne, reine de Naples, célèbre par sa beauté et ses aventures,