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AVIGNON

occupait le milieu de la route. Le charretier, énorme Provençal grossier, a menacé l’enfant, et, comme l’âne cheminait toujours au petit trot, emportant gaiement son double fardeau, le charretier a lancé un coup de fouet à l’enfant qui a jeté un cri.

Le comte de Ber… a tressailli.

— Quelle inhumanité ! a-t-il dit.

— Je vais t’en donner autant, gringalet, s’est écrié le charretier, en jurant, et en s’avançant sur nous.

Le jeune comte, rapide comme un trait, a sauté sur l’énorme Provençal, l’a pris à la gorge et tellement serré, que le charretier a pâli, et le sang lui a couvert les lèvres. Quand il a été à vingt pas, le comte lui a jeté son fouet dont il s’était emparé. Toute ma vie j’aimerai ce jeune comte, qui, quoique fort riche, n’est point niais.

Les femmes d’Avignon sont fort belles ; comme j’admirais les yeux vraiment orientaux d’une de ces dames qui faisait des emplettes dans les boutiques de la place, on m’a dit qu’elle était israélite.

J’ai trouvé une vue magnifique[1] du haut du rocher calcaire des Dons, sur lequel au quatorzième siècle fut bâti le palais des papes. C’était une forteresse,

  1. L’édition originale porte : une vue assez étendue. Je corrige d’après l’erratum de l’exemplaire Primoli et l’édition de 1854. N. D. L. É.