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un grand intérêt à ce qu’une certaine route soit faite. L’ingénieur en chef est excellent ; c’est en outre l’homme le plus aimable de la province. L’ingénieur particulier est un brave jeune homme fort instruit, enthousiaste du travail, qui arrivait avec un morceau de pain et un livre sur sa route, et y passait des matinées entières. Au milieu de la campagne, on vient d’envoyer ce jeune ingénieur à l’autre bout du royaume.

— C’est une campagne perdue ! me dit M. Ranville, mon ami, indigné de ce déplacement. Il était de plus fort en colère contre un conducteur qui vole. Il prétend qu’on ne destitue jamais les voleurs dans cette administration, on se contente de les faire changer de département. Aussi M. Ranville, amoureux de sa route, demande-t-il toujours à l’ingénieur en chef des conducteurs du pays ; mon ami a bien d’autres chagrins.

— Aussi, lui disais-je, pourquoi êtes-vous passionné ? pourquoi diable faire dépendre votre bonheur des autres ? Il serait moins fou d’aimer une jeune et jolie femme ; au moins vous n’auriez à vous battre que contre le caprice d’une seule personne. Au moyen de votre route, vous avez à lutter non-seulement contre l’intérêt d’une centaine de provinciaux,