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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

Au bout d’une heure, j’étais un autre homme ; j’avais entièrement oublié la corderie et les magasins de l’État, et je me suis mis à flâner gaiement dans la ville.

J’ai remarqué à l’extrémité de mon joli boulevard une jolie petite statue en bronze placée sur une colonne de granit. La colonne est du plus beau poli et fort élégante, mais il faudrait s’en servir ailleurs, et placer la statue sur la base de la colonne à neuf ou dix pieds de haut tout au plus ; alors on la verrait fort bien : maintenant on l’aperçoit à peine. J’ai compris que c’était l’élève Bisson, faisant sauter son bâtiment plutôt que de se rendre. Il n’y a pas d’inscription. La statue vue de près serait peut-être d’un goût fort sec ; ce qui vaut mieux que le genre niais ordinaire des statues de province.

Je suis allé à la grande église ; on voit bien qu’elle a été bâtie au dix-huitième siècle. Bien de plus vaste, de plus commode et de moins religieux. Il fallait sous le climat de Lorient une copie du charmant Saint-Maclou de Rouen, ou, si l’on trouvait ce bâtiment trop cher, une copie de l’église de Ploërmel. Je me suis amusé à rêver à l’effet que produirait au milieu de ces maisons pauvres avant tout, mais enfin au fond d’architecture gallo-grecque, une copie de la Maison carrée de Nîmes ou de la Madone de San-Celse de Milan. Il faudrait ici le singulier Saint-Laurent de Milan. Toutes ces rues de Lorient, soigneusement alignées, sont formées par de jolies petites maisons bien raisonnables, qui ont à peine un premier et un second, avec un toit fort propre en ardoises.

Les fenêtres bourgeoises sont garnies de petites vitres d’un pied carré, la plupart tirant sur le vert.

Je suis arrivé à l’esplanade, où manœuvrait un bataillon d’infanterie : la musique était agréable, mais j’étais le seul spectateur, avec deux petits gamins de dix ans. Les bourgeois de Lorient sont trop raisonnables pour venir perdre leur temps à entendre de la musique.

Malgré ma répugnance pour l’arsenal, j’ai passé de nouveau