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ŒUVRES DE STENDHAL.

sur elle une lettre touchante dont on montrait la copie ; en voici une phrase :

« Je serai oubliée aussitôt qu’enterrée ; mais, avant cet oubli final d’une pauvre fille trop malheureuse, j’espère que l’on dira dans tout Trèscloître : Victorine fut parfaitement sage. »


— Grenoble, le 14 août.

Malgré les affaires qui m’appellent à Fourvoirie, j’ai cédé à la tentation ; hier matin j’ai fait une course magnifique : d’abord j’ai remonté la rive droite de l’Isère, je suis allé en poste jusqu’à Montméliant, passant par Montbonot, Saint-Ismier, la Terrasse, Chapareillan. En sortant de Grenoble, j’ai visité le jardin de Franquières ; à Saint-Ismier, les treilles de M. Félix Faure, pair de France, et le parc du comte Marchand (un des braves de la bataille d’Eylau). Avant d’arriver à Montméliant, j’ai vu le fort, assez insignifiant, de Barreaux et le château des Marches, position superbe.

Au retour, par la rive gauche, entre Goncelin et Pontcharra, je suis monté avec respect sur un coteau assez élevé qui tient à la montagne : là sont les ruines du château Bayard. Ici naquit Pierre du Terrail, cet homme si simple, qui, comme le marquis de Posa de Schiller, semble appartenir, par l’élévation et la sérénité de l’âme, à un siècle plus avancé que celui où il vécut. La vue que l’on a des ruines du château de son père est admirable. J’oubliais de dire que de Montméliant j’ai envoyé mon domestique et ma calèche m’attendre à Chambéry. J’ai eu de notables difficultés pour le passe-port, mais ne me suis point impatienté ; l’observais les allures du commissaire de police ; je l’ai traité comme un insecte.

À Montméliant j’ai loué un tapecu, cabriolet découvert et doré, unique pour la laideur ; mais il était attelé de deux excellents chevaux qui m’ont mené grand train au château Bayard, à Goncelin et à Téncin. Là j’ai cédé à la prière du cocher qui voulait leur faire manger l’avoine, et je suis allé parcourir à mon aise