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ŒUVRES DE STENDHAL.

thédrale produit sur moi. Je relis avec plaisir la description que César donne du caractère de nos aïeux.

Mes affaires terminées, le vent très-froid m’a fait chercher un refuge dans la cathédrale ; d’abord j’y ai lu César. Quand j’ai été un peu ranimé, j’ai songé à l’art gothique, et à l’ogive, qui n’est point un caractère exclusif du gothique proprement dit, né en 1200.

De tout temps l’ogive a existé en Égypte. Le pont du Jourdain en Syrie a des arches en ogive. Au dixième siècle, les Arabes apportèrent l’ogive en Sicile.

Ce qui est plus sûr pour moi, parce que je l’ai vu, c’est que la voûte de l’émissaire du lac d’Albano, bâtie, dit-on, lors du siège de Véies, est en ogive. Plusieurs constructions antiques de la Sicile présentent la voûte en ogive. Rien de plus naturel ; c’est la voûte la plus forte et qui se présente d’abord à l’esprit. Quoi de plus simple que de faire une ogive par encorbellement ?

L’architecture romane, puis gothique, est née peu à peu parmi des gens ennuyés de l’architecture grecque et de sa sœur cadette l’architecture romaine, ou désespérant de les égaler.

La société du dixième siècle se rapprochait par un côté essentiel du Paris de 1837. Les conquérants du Nord, énergiques et sauvages, venaient de faire irruption dans la société romaine élégante (les colonnes ne lui suffisaient plus, elle voulait des colonnes ornées de mosaïques ; voyez Ravenne) ; élégante, dis-je, mais énervée, étiolée, n’ayant plus de goût sincère pour rien de ce qui exige de la suite, ne pouvant plus être réveillée que par l’ironie, genre de plaisir qui ne demande à l’esprit qu’une seule minute d’attention.

Sans la presse, qui permet à un ouvrier sauvage tel que J. J. Rousseau de prendre la parole et de se faire écouter, la bonne compagnie, du temps où le maréchal de Richelieu prenait d’assaut le port Mahon, eût été pour les passions au même degré de totale inhabileté que nous présente à Rome le roman de Pétrone.