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ŒUVRES DE STENDHAL.

sérieux dans les affections, et un ardent patriotisme ; j’aime la langue parlée en Alsace, quoique horrible.

Vient ensuite Paris, et le vaste cercle d’égoïsme qui l’entoure dans tous les sens, à quarante lieues de distance. À l’exception des gens de la dernière classe, on cherche à tirer parti du gouvernement quel qu’il soit ; mais s’exposer pour le défendre ou le changer passe pour souveraine duperie. Donc il n’y a rien de si différent que l’Alsace et les environs de Paris.

En continuant de s’avancer vers l’ouest, on trouve, vers Nantes, Auray, Savenay, Clisson, les Bretons, peuples du quatorzième siècle, dévoués à leur curé, et ne comptant la vie pour rien dès qu’il s’agit de venger Dieu.

Plus au nord paraît le peuple de Normandie, gens fins, rusés, ne faisant jamais de réponse directe à la question qu’on leur adresse. Cette division, si elle n’est pas la plus spirituelle de France, me semble de bien loin la plus civilisée. De Saint-Malo à Avranches, Caen et Cherbourg, ce pays est aussi celui de France qui est le plus orné d’arbres et qui a les plus jolies collines. Le paysage serait tout à fait digne d’admiration, s’il avait de grandes montagnes ou du moins des arbres séculaires ; mais, en revanche, il a la mer, dont la vue jette tant de sérieux dans l’âme ; la mer, par ses hasards, guérit le bourgeois des petites villes d’une bonne moitié de ses petitesses.

Après les cinq divisions du nord, la généreuse Alsace, Paris et son cercle égoïste de quatre-vingts lieues de diamètre, la Bretagne dévote et courageuse, et la Normandie civilisée, nous trouvons au midi la Provence et sa franchise un peu rude. Les partis politiques donnent des assassinats en ce pays : le maréchal Brune, les mameluks de Marseille en 1815, les massacres de Nîmes.

Nous arrivons à la grande division du Languedoc, que je compte de Beaucaire et du Rhône jusqu’à Perpignan. On a de l’esprit et de la délicatesse en ces contrées ; l’amour n’y est pas remplacé par Barême ; il y a même, vers les Pyrénées, une