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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

mais s’il appartient à la bonne compagnie, il est toujours le même : et je voudrais un peu d’imprévu.

Pendant les douze années que je fus marchand, je n’ai voyagé que par la malle-poste. Trois jours de Paris à Marseille ! c’est beau ; mais aussi l’homme est réduit à l’état animal : on mange du pâté ou l’on dort la moitié de la journée. Je n’eus jamais le temps de m’enquérir, ou, pour mieux dire, de chercher à deviner comment les gens chez lesquels je passais avaient coutume de s’y prendre pour courir après le bonheur. C’est pourtant là la principale affaire de la vie. C’est du moins le premier objet de ma curiosité.

J’aime les beaux paysages : ils font quelquefois sur mon âme le même effet qu’un archet bien manié sur un violon sonore : ils créent des sensations folles ; ils augmentent ma joie et rendent le malheur plus supportable.

Mais, j’y pense, il est ridicule de dire qu’on aime les arts ; c’est presque avouer qu’on est comme il faut être. Je crois que la France ne fournit guère à l’admiration du touriste que des milliers d’églises gothiques et quelques beaux restes d’architecture romaine dans le Midi. J’avoue que, dès mon enfance, j’ai été enthousiaste de la jolie église de Saint-Ouen, à Rouen.

J’ai toujours partagé la France, dans ma pensée, en sept ou huit grandes divisions, qui ne se ressemblent pas du tout au fond, et n’ont de commun que les choses qui paraissent à la surface. Je veux parler de ce qui provient de l’action du gouvernement.

Dans tous les départements, une femme de petit fonctionnaire public se rengorge parce qu’elle a été invitée au bal de M. le préfet, et n’aime presque plus sa bonne amie d’enfance qui a été oubliée. De ce côté-là, on a les mêmes mœurs à Vannes et à Digne.

Mais, pour en revenir aux grandes divisions :

Je distingue l’Alsace et la Lorraine, pays sincères où l’on a du