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ŒUVRES DE STENDHAL.

Marie dit à Marandon, de la part de madame Ganthier, que le mari savait tout et l’avait reconnu. « Je suis un homme perdu, » s’écria-t-il.


Marie Ganthier, étonnée de ne pas recevoir de réponse, écrivit une seconde lettre qui parvint à Marandon. Celui-ci en avait une toute prête qu’il donna en échange.


« Je te dirai, écrivait-il, que tu dois bien te reconsoler pour la chose qui le chagrine tant ; car j’ai une certitude de sûreté que ça ne peut rien faire à présent. Il faut absolument se conformer à nos peines. Plus tard nous prendrons une marche qui pourra nous être avantageuse… Si parfois on me prenait pour m’interroger, que ça ne t’intimide pas, je suis sûr de mon affaire ; mais surtout toi, si on t’en faisait autant, tu diras toujours la même chose, que tu n’as jamais eu de conférences avec moi… Si ce n’est pour moi, que ce soit pour mon garçon (il avait un fils et adorait cet enfant). Et ces deux livres (deux volumes du Tableau de l’amour conjugal), s’ils ne sont pas vus, fais-les brûler. Si tu ne peux pas mieux faire d’ici quelque temps, tu iras chez ton père ; si ça venait en question de cette donation, il faut le prêter à la faire rompre, et sois tranquille… Je finis en l’embrassant, ma chère femme. »


La donation dont parle Marandon gâte un peu cette histoire, je l’avoue ; elle avait eu lieu quelques mois auparavant et fournissait à l’accusation un de ses principaux arguments. La femme Ganthier avait sollicité et obtenu de son mari une donation réciproque de l’usufruit de leurs biens.

Ces deux lettres, communiquées au mari, le décidèrent à faire sa déclaration au juge de paix d’Argenton, et vous savez que cette déclaration amena les deux tentatives de suicide, dont une seule fut consommée.

Pendant toute l’instruction, la femme Ganthier a nié, elle a