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ŒUVRES DE STENDHAL.


— Fourchambault, le 17 avril 1837.

Que dire qui ne soit pas une méchanceté, de tous ces pays de forges du Berry ?

Ou connaît ces noms à Paris ; ils ont créé depuis trente ans des fortunes colossales, et ces fortunes s’opposent maintenant à ce qu’on nous donne une bonne loi de douanes. Mes intérêts, ou plutôt les intérêts de ma vanité, m’ont conduit à Guérigny, à Imphi, etc. Il faut que, dans nos réunions de Paris, je puisse jeter en passant quelques détails sur les hauts fourneaux de ce pays-ci.

J’y vois beaucoup de choses à louer : toutefois l’ouvrier français a trop d’esprit, il veut trop inventer et varier ses moyens ; il croit à son imagination presque autant qu’à l’expérience. Et, en fait de machines comme de politique, l’expérience seule répond à tout ; la théorie n’est qu’un rêve.

L’ouvrier français du Nivernais n’a point l’opiniâtreté féroce de l’ouvrier de Birmingham, qui, avant tout, veut gagner son argent. Il est encore plus éloigné de la patience inaltérable, soigneuse et pleine de bonhomie des ouvriers du Hartz. (Il y a trois ans qu’à Gosslar l’on m’a donné un déjeuner à treize cents pieds sous terre. Les ouvriers entrent gaîment dans ce gouffre le lundi, et ne reviennent voir leurs femmes et leur village que le samedi soir. Il y eut jadis de graves inconvénients, lorsque des régiments français allant à Magdebourg étaient logés à Gosslar : les maris ensevelis dans les mines prétendirent se révolter.)

Je pourrais placer ici un mémoire de quatre pages sur les bois et les forges du Nivernais ; mais peut-être il intéresserait médiocrement le lecteur, et à coup sûr il serait taxé de jacobin ; car je proposerais des réformes, car je choquerais les riches propriétaires qui abusent du statu quo.

Les provinciaux de 1837 sont sévères en diable pour les gens riches, et j’avoue qu’il ne tiendrait qu’à ceux-ci de voir partout des ennemis.