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misère à huit ans et qui ont été inutiles à la société (qui n’ont augmenté la valeur de rien par leur travail), équivaut à la consommation d’un robuste jeune homme de vingt ans qui est fort utile.

Toute humanité à part, il est de l’intérêt de la société qu’aucun enfant ne meure. Or, sur cent enfants qui succombent dans les campagnes, c’est au manque de nourriture suffisante qu’il faut attribuer la mort de quatre-vingts ; les maladies ne sont qu’une vaine apparence.

La nation perd la nourriture de ces quatre-vingts enfants. L’impôt progressif réduirait le nombre des enfants morts faute de viande de quarante pour cent peut-être. Mais, dans la chambre de Hollande, y avait-il en 1836 cent députés qui eussent lu Smith et Malthus, ou bien réfléchi à ces questions ? Il faut ajourner toutes les questions difficiles à l’époque où les députés seront payés, alors on aura des hommes accoutumés au travail. Nous avons bien dit d’autres sottises. Les amendes ne sont une punition que pour le pauvre, les gens riches s’en moquent fort. On devrait condamner le maître de toute voiture qui écrase un être humain dans Paris, non-seulement à une amende de cent cinquante francs, mais encore à une somme égale au double des impositions que l’écrasant a payées l’année précédente.

Un homme a trente-six mille francs de rente ou cent francs par jour, un autre a quatre mille livres de rente, ou onze francs par jour ; osera-t-on dire qu’une amende de cinq cents francs est la même chose pour ces deux coupables ? Il faut dire : l’amende sera du quart des impôts payés l’année précédente. Toute la partie de nos lois relative aux punitions par l’argent est donc à refaire. L’arrêt du destin est conçu en ces termes : Les riches devront bientôt chercher leur sécurité dans l’absence du désespoir chez le pauvre.

Un ouvrier est accusé, on le met en prison ; cette arrestation préventive dure un mois ou deux : pendant ce temps sa femme et ses enfants meurent de faim ou volent. Un homme aisé est mis en prison, il ne perd que sa liberté.