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minable, maudite de tous les voyageurs. Le fonctionnaire, que nous appellerions en France ingénieur en chef, fit un projet de rectification ; la dépense fut approuvée par l’autorité centrale ; elle s’élevait à 70,000 francs, et l’on devait mettre la main à l’œuvre au commencement de 1836.

En septembre 1855, on s’occupa de l’adjudication des travaux, qui devaient avoir lieu six mois plus tard. Le préfet était en congé et remplacé par M. Volf, le secrétaire général. M. Ragois, ingénieur en chef et honnête homme, était en tournée sur ses routes, à trente lieues du chef-lieu de préfecture où devait se faire l’adjudication ; mais, comme il y voit clair, et qu’il craignait quelque tentative de friponnerie, il s’était fait remplacer par M. Wambrée, ingénieur ordinaire et parfaitement honnête homme. Les ingénieurs croyaient qu’il y aurait un rabais de huit ou dix pour cent sur les prix qu’ils avaient indiqués, et comme de coutume l’entreprise devait être adjugée au soumissionnaire qui ferait le rabais le plus fort.

Le 13 septembre, le conseil de préfecture se rassemble ; la séance est ouverte sous la présidence de M. Volf (le secrétaire général faisant fonctions de préfet). On introduit les soumissionnaires au nombre de quatre, et le candide M. Wambrée est bien étonné de voir que leurs soumissions ne portent que des rabais insignifiants de demi, quart, demi et un pour cent ; toutefois le conseil de préfecture adjuge le travail au sieur Dabo, dont la soumission offrait un rabais d’un pour cent.

Ce même soir, l’ingénieur Wambrée retourna à sa besogne ordinaire ; mais, surpris par une averse, il s’arrêta pour coucher à Lambin, village voisin de Givry.

L’hôte, complètement ivre ce soir-là, lui dit :

Eh bien, monsieur Wambrée, vous avez été joliment volé à l’adjudication de ce matin ?

— Il n’y a eu qu’un faible rabais, il est vrai, mais je ne vois pas de vol.

— Vous autres messieurs vous ne savez jamais rien, reprend