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plus aucun vestige de la fameuse église de Saint-Martin de Tours, j’ai parcouru avec intérêt la colline au nord du pont ; elle est dans la plus belle exposition du monde, en plein midi avec la vue d’une grande rivière et d’un pays fertile. C’est là que le plus honnête homme de France, et peut-être le plus grand poëte du siècle, a choisi sa modeste retraite. Quelle différence de cette vie pure à ces vies d’intrigants, qui, à Paris, conduisent à tout ! J’ai demande à un paysan où était la Grenadière.

— Ah ! la maison de M. Béranger ! s’est-il écrié, comme un homme qui connaît bien ce nom et qui l’aime. La voilà au-dessus de ces grottes creusées dans le rocher. J’y suis monté aussitôt.

Mais, au moment de frapper à la porte, la vertu nommée discrétion m’est apparue. Quel plaisir d’avoir sur tout ce qui se passe le mot d’un homme aussi judicieux ! Mais, me suis-je dit, si tous les voyageurs qui l’aiment et l’admirent vont frapper à la porte de la Grenadière, autant aurait valu ne pas quitter Passy. Et j’ai eu la vertu de revenir à la grande route qui descend au pont. La roche tendre contre laquelle elle passe est percée d’une infinité de grottes qui sont habitées par les paysans.

Il était nuit close comme je rentrais à Tours ; je suis allé voir les prétendus restes de la fameuse église de Saint-Martin.

Ce sont deux tours carrées, séparées l’une de l’autre par de petites maisons bien commodes et bien plates. Le manque absolu de physionomie me paraît être le triste défaut de tout ce qu’on rencontre à Tours.

Il y a ici des centaines d’Anglais moins rogues qu’ailleurs. Ils ont trouvé dans les vieux voyages en France que l’on parlait mieux le français à Tours qu’à Paris.

J’étais mort de fatigue ; je suis monté au cabinet littéraire qui occupe un premier étage dans la belle rue. De toute l’année je n’ai ressenti un froid si cruel ; il faisait un vent du nord exécrable, et les lecteurs tourangeaux jugeaient à propos de tenir les fenêtres ouvertes. J’ai résisté courageusement au besoin de de-