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belle Touraine, ils me répondaient que je verrais les bords de la Loire ; et quand j’ai été aux bords de la Loire et que je me suis plaint des rangées de saules et de peupliers qui en font tout l’ornement, on m’a parlé de l’incomparable beauté des plaines arrosées par l’Indre et par le Cher que je venais de parcourir. Il est bien vrai que la fertilité augmente à mesure qu’on s’avance de Loches vers Cormery, mais il n’y a rien de beau dans tout cela.

Nous avons rencontré enfin quelques grands arbres, au point où la route descend le contre-fort méridional du Cher, vis-à-vis Tours. Du Cher à la Loire, le pays n’est qu’un marais fertile où l’on trouve des blancs de Hollande d’une belle venue. Bientôt après le pont du Cher, nous sommes entrés dans la magnifique rue de Tours. Elle est aussi large, ce me semble, que la rue de la Paix, ce qui produit un effet étonnant en province le mesquin bourgeois vous étouffe. Cette rue conduit en droite ligne au fameux pont sur la Loire.

Je me suis logé au grand hôtel de la Caille, que le spirituel T… m’avait recommandé. Ma chambre est bien ; mais j’ai failli mourir de faim au maigre dîner de la table d’hôte. Il y avait là deux ou trois Anglais pensionnaires qui prenaient leur mal en patience ; ce qui me prouve que le dîner est ordinairement de cette magnificence ; il n’en dure pas moins une heure et demie. Je m’enfuis avant le dessert pour aller voir le pont qui fait l’orgueil de Tours. Il a quarante-sept pieds de large, et chacune de ses quinze arches a soixante-quinze pieds de diamètre.

Comme tout ce qu’on fait en France depuis cinquante ans, ce pont est fort commode et manque absolument de physionomie. Il faut être journaliste payé ou rédacteur d’un annuaire départemental pour avoir le front d’appeler cela beau. Le plus exigu des centaines de ponts que Napoléon a fait construire en Lombardie donne le vif sentiment de la grâce ou de la beauté ; mais ces gens-là ne prennent pas Constantine d’assaut comme nous.

Réduit aux beautés de la nature, car je savais qu’il n’existe