Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lie si piquante et si vraie. — Ah ! monseigneur, et vous aussi ! Oh ! c’est mal, très-mal, et je ne vous aime plus. » C’est de cette manière que ces deux hommes, si bien faits pour s’entendre, et malgré les dignités respectives dont ils étaient revêtus tous deux, c’est comme cela, dis-je, qu’ils ne se refusaient jamais les plaisanteries légères qui ne faisaient que mieux ressortir l’aménité et la simplicité de leurs mœurs irréprochables. (M. le comte de Noé était un homme magnifique et de taille, et de figure, et de maintien. Sa tournure noble et distinguée, lorsqu’il avait revêtu ses habits sacerdotaux, provoquait l’admiration de tous ceux qui l’apercevaient ; pour son grand vicaire, il était petit, maigre et fort laid.)

UN DESSERT CHEZ L’ABBÉ AUGER, ET DANSE DE RONDES DE MONSEIGNEUR L’ÉVÊQUE DE LESCARS ET DE SON GRAND VICAIRE.

On arriva au dessert, et les superbes oranges, mises avec soin dans une belle corbeille de porcelaine dorée, occupaient avec faste le milieu de la table : on en coupa une demi-douzaine en rondelles pour en faire une salade au rhum et au sucre, que mon oncle aimait beaucoup. Excités l’un par l’autre, ces messieurs en avalaient à qui mieux mieux, et l’on jasait d’autant. Sans s’en apercevoir, ils furent pris tous deux, et leurs éclats de rire, les larmes involontaires que ces rires provoquaient, fixèrent l’attention des trois dames, ma bonne mère, ma tante Thérèse, qui était plus âgée que ma mère de neuf années, et enfin la petite étourdie qui, se levant de table avant que le café fût servi, provoqua sa sœur pour engager sa mère à faire passer au salon, ce qu’elle fit aussitôt.

Arrivés là, monseigneur comte de Noé, frère d’un ou d’une Polignac, évêque de Lescars, grand abbé, etc., etc., et Athanase Auger, son grand vicaire, membre de toutes les Académies, etc., etc., se trouvèrent si bien pris tous deux, qu’ils allaient de travers et bavardaient comme des pies ; ce que voyant la maligne