Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


MÉMOIRES
D’UN
TOURISTE




— Verrières, près Sceaux.

Ce n’est point par égotisme que je dis je, c’est qu’il n’y a pas d’autre moyen de raconter vite. Je suis négociant ; en parcourant la province pour mes affaires (le commerce du fer), j’ai eu l’idée d’écrire un journal.

Il n’y a presque pas de Voyages en France : c’est ce qui m’encourage à faire imprimer celui-ci. J’ai vu la province pendant quelques mois, et j’écris un livre ; mais je n’ose parler de Paris, que j’habite depuis vingt ans. Le connaître est l’étude de toute la vie, et il faut une tête bien forte pour ne pas se laisser cacher le fond des choses par la mode, qui en ce pays dispose plus que jamais de toutes les vérités.

La mode pouvait tout aussi du temps de Louis XV ; elle faisait condamner à mort le général Lally, qui n’avait d’autre tort que d’être brusque et peu aimable. De nos jours, elle jette en prison un jeune officier tout aussi coupable que le général Lally. Mais il y avait pourtant, du temps de Louis XV, une difficulté de moins pour arriver à la vérité : on n’avait pas à faire des efforts pour oublier les jolies phrases d’une vingtaine d’écrivains, gens de beaucoup de talent et payés pour mentir.